| Symphonie
n°9 "la Grande" D. 944 Orchestre Symphonique de la
Radio Bavaroise, Sony, 1993
Merveilleux interprète des Symphonies "Inachevée" (qu'il
enregistra dès janvier 1961) et n° 4 de Schubert, Giulini surprend
quelque peu dans la "Grande" Symphonie. En 1977, la parution d'une
gravure effectuée à Chicago (DG, indisponible) témoignait d'une approche
majestueuse mais non dénuée d'emphase, avec des cuivres dominateurs
(envahissant lors de l'Andante con moto), des phrasés appuyés et des
tempos retenues, sauf lors de l'introduction, manquant précisément de
mystère. Toutefois, à la différence de la plupart des enregistrements
actuels du chef italien, accusant les tendances ce des précédentes
interprétations (DG), ce concert munichois des 27 et 28 février 1993 nous
permet d'apprécier une Symphonie en ut majeur mieux équilibrée. Les
nuances tiennent d'abord aux orchestres : très sollicités
également, les cuivres de la Radio Bavaroise sont moins outrecuidants que
ceux de Chicago, et les cordes répondent avec davantage de transparence et
de souplesse au lyrisme de Giulini. En outre, au risque d'une justesse
parfois incertaine (on est en public), les bois s'avèrent plus expressifs
(mention spéciale pour le hautbois). Certes, en accord avec un ton désespéré, les tempos restent lents, mais le
Scherzo n'a plus la démesure
de la version de Chicago (comportant trop de reprises), et le deuxième
mouvement apparaît plus allant, plus naturel (l'écart n'atteint que quinze
secondes mais se ressent nettement). Outre l'introduction, décidément trop
rapide (relativement) la présente vision, pensée dans les moindres
détails, est riche d'options personnelles : par exemple un déchirant
ralentissement empêchant toute rémission après le terrifiant silence de
l'Andante, ou le singulier diminuendo sur l'accord final, qui donne
à l'oeuvre un parfum d'infini rappelant les conclusions abruptes de la Missa
solemnis de Beethoven ou de la 8e Symphonie de Bruckner, et laisse
le public apparemment médusé... avant l'usuelle frénésie
d'applaudissements.
Une conception aussi sombre et délibérément brucknérienne est-elle
légitime ? Sans revenir sur ce débat sans fin, reconnaissons en tout cas
qu'elle est suffisamment cohérente pour émouvoir et convaincre.
Francis DRESEL, Diapason n° 413, mars 1995, 4 Diapasons
TCHAIKOVSKI
| Symphonie
N° 6 "Pathétique"
Orchestre Philharmonia, EMI, 1959
Giulini, en 1959, est un jeune chef italien encore dans l'ombre de ses
maîtres, Victor de Sabata et Arturo Toscanini. Sa première lecture de la
"Pathétique" est digne d'un amoureux de Verdi par la
fougue et la spiritualité du message, d'un vrai chef lyrique par son sens
presque mozartien de la mise en scène. Défilent alors sans souffrance,
résignation, éclats, naïveté, nostalgie... et un autoportrait de son
auteur. La partition chante de bout en bout sans violence gratuite, ni
sentimentalité excessive. Il ne manque que la sérénité finale, l'image
du Slave un peu cabotin dans l'Allegro con grazia pour que cette
lecture s'impose avec la même évidence que celle de Mravinski.
Pierre-Emile BARBIER, Diapason n° 350, juin 1989, 4
diapasons
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VERDI
| FALSTAFF
Renata Bruson, Leo Nucci, Dalmacio Gonzales, Michale Sells, Francis Egerton,
William Wildermann, Katia Riccirarelli, Barbara Hendricks, Lucia Valentini
Terrani, Brenda Boozer, Los Angles Master Chorale, Orchestre Philharmonique
de Los Angeles, DG, 1982, Live
On fait tourner en bourrique un vieux monsieur,
comme des enfants peuvent s'amuser, cruellement, avec un vieux matou. Mais
le vieux monsieur en question a beau être une sorte de clochard en forme de
tonneau, de sacripant un peu satyre, un peu escroc, on ne peut s'empêcher
d'éprouver de la sympathie pour lui, pour ce chevalier Falstaff qui nous
fait rire - mais c'est au fond pas drôle, émouvant plutôt, touchant dans
sa naïveté de gros bébé. Carlo Maria Giulini résume ce paradoxe de
Falstaff : "Si les situations sont comiques, les personnages ne le sont
pas." Et il le met en oeuvre dans cet enregistrement réalisé en
public, ce qui en accroît sans doute encore la dynamique sans rien en ôter
de la couleur intime. Feu d'artifice final de Verdi, Falstaff est en
effet une oeuvre bien plus complexe qu'il n'y paraît : dans son enjeu
d'abord, poétique et "philosophique", mais aussi dans son
écriture orchestrale, à la fois mozartienne et déjà projetée vers une
modernité alors inouïe. Ce sont toutes ces faces d'une oeuvre qui jette
ses feux à multiples carats sur cette fin du XIXe siècle que
Giulini éclaire comme personne. Bien sûr, on peut s'étonner des tempi
relativement lents, mais on remarque aussitôt qu'ils laissent s'épanouir
bien mieux la poésie et l'ambiguïté de l'oeuvre tout en n'altérant en
rien sa dynamique (qui n'est pas à confondre avec sa vitesse d'exécution
!). En fait Giulini propose un Falstaff automnal, à la gravité
amère, plutôt que le ludion ventru et un peu speedé de nombre
d'autres interprétations : mais ce parti pris est mené d'un bout à
l'autre avec beaucoup de finesse d'exécution, grâce, il faut le dire, à
un orchestre particulièrement virtuose dont le jeu de timbres est un
permanent régal gourmand. Quant à l'humour il est constamment présent
mais avec une légèreté volatile, l'esquisse d'un sourire parfois ombrée
de mélancolie, jamais farce bien sûr - à l'exception de l'étourdissante
fugue finale. De la distribution, en parfaite adéquation avec ce tissage
léger et avec cette "mélodie de timbres" mise en jeu par le
Maestro Giulini, on distinguera le Falstaff aux ardeurs écrêtées, comme
désenchanté, de Renata Bruson, qui sent déjà la fêlure en lui, et
l'Alice éblouissante de verve, de luminosité vocale, de charme pétillant
de Katia Ricciarelli. Falstaff est une oeuvre à part de la
production de Verdi, un opéra qui en fait n'est pas "verdien" :
Carlo Maria Giulini, en mozartien émérite qu'il est aussi, sait jouer de
cette subtile ambiguïté pour donner à l'oeuvre sa plus belle parure. En
est-ce la "vérité" ? Gardons-nous de l'affirmer, souvenons-nous
de l'exhortation finale de Falstaff : "Tout au monde n'est que
farce..."
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact
classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991
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| MESSA DA REQUIEM
Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig, Nicolai Gedda, Nicolaï Ghiaurov
; Choeur et Orchestre Philharmonia, EMI, 1964
On ne crie plus, on ne croit plus, on ne prie plus
: a-t-on moins peur ? Les Requiem ont disparu : on les ressasse ; on meurt
aujourd'hui dans la répétition des anciennes stèles de mots et de sons
fichées dans notre mémoire collective. Mais l'émoi qui prend chacun à
l'écoute d'un de ces appels aux morts, il s'écrit sur la peau. Chaque
époque joue avec ses frissons, touche à sa perdition avec une voix
inimitable ; chaque époque salue ses morts et pose sur eux le regard
fondamental qui l'exprime ; chaque époque trouve pour ceux qui reposent le
style de ses réquisitions ultimes. La mort, elle, ne se repose pas. Le Requiem
de Verdi est donc ce salut aux morts tels qu'on pouvait l'entendre dans
l'Italie de 1874, cette Italie du mélodrame et de l'opéra qui lui donne
sans doute sa dimension. Avec sa vaste architecture sonore, ses déchirures
terrifiantes, ses chuchotis de bord de tombe, l'éclat de son Dies Irae tellurique,
la volée de son Sanctus, la pudeur fervente, poignante de son Libera
me, c'est un immense mausolée musical bâti par un Piranèse
lyrique et décoré à la fresque par un Giotto, deux Ghiberti et trois
Michel-Ange. Carlo Maria Giulini est peut-être le seul chef à donner de ce
monument sa projection à la fois physique et métaphysique, avec une
direction d'une sensualité telle qu'elle confine à l'extase spirituelle,
ce moment d'ambiguïté qui fait basculer vers la sainteté. La
pulsation est ample, la progression sonore et la gradation de souffle
inscrites dans le mouvement interne de l'oeuvre, dans cette intégration du
temps au déploiement musical : pas un seul instant Giulini ne laisse
retomber cette tension qui, jamais exacerbée, est comme l'image audible de
la mort douce. Même les éclats spectaculaires du Dies Irae
s'inscrivent dans ce battement progressif, comme une anticipation avant que
ne reprenne la rongeuse et terrible méditation mortifère. Et le quatuor
vocal réuni, volontairement à l'écart des habitués de l'opéra verdien
pour pouvoir mieux oublier le théâtre et se recentrer sur la ferveur, est
tout simplement le plus beau du monde. On a enregistré beaucoup de Requiem
de Verdi, plusieurs dizaines à ce jour. On n'a encore éprouvé avec aucun
autre cette émotion de la dilution dans un au-delà entr'aperçu et qui
enveloppe. Un Requiem solemnis.
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact
classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991
Selon la légende, la version de Carlo Maria
Giulini est sans défaut comme son
Don Giovanni ou son
Don Carlos... Eh bien , la légende dit vrai ! Le chef italien impose
une rigueur, une intensité, une honnêteté et, au final, une humanité qui font de
son enregistrement, aujourd'hui encore, la grande référence. Aucune autre
version n'est parvenue à une telle évidence dans la caractérisation, une telle
majesté dans l'émotion, une telle universalité des sentiments face à la mort. Le
secret de Giulini ? Un travail "d'orfèvre" (Bertrand Dermoncourt) pour la mise
en place de l'orchestre et des voix, "d'architecte" (Jérémie Rousseau) pour la
construction du discours, et un "quatuor idéal" (Philippe Venturini), d'une
substance inouïe mais toujours au service de la musique. Cela semble simple. A
l'aune de cette écoute, et compte tenu des difficultés de la partition, on
parlera plutôt de miracle.
Bertrand DERMONCOURT Classica, Ecoute en
aveugle, n° 134 juillet -août 2011, p. 59.
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| Ilva Ligabue (soprano), Grace Bumbry (mezzo),
Sandor Kónya (ténor), Raffaele Arié (basse) ; Choeur et Orchestre
Philharmonia, BBC Music 2 CD BBCL 4144-2 26 avril 1964, live
Le 90e anniversaire du grand chef Carlo Maria Giulini,
en mai dernier, n'a pas donné lieu à des manifestations discographiques à
la hauteur du personnage. Il est vrai que son répertoire est restreint et
que son legs discographique a largement été disponible ces vingt dernières
années. La parution la plus intéressante est le fait de BBC Music, qui a
ressuscité un concert d'avril 1964, lors duquel Giulini dirigeait son
oeuvre fétiche : le Requiem de Verdi.
Le son est en mono, mais une mono de grande qualité, plus agréable d'écoute
à mon sens que la stéréo distordue de l'enregistrement officiel EMI. Et
ce n'est pas le seul avantage : le quatuor vocal, également, a les épaules
plus larges et plus taillées pour Verdi que les quatre solistes, certes
huppés, de la gravure de studio. Le duo Schwarzkopf-Ludwig est ainsi
nettement moins en situation que celui formé par Ligabue et Bumbry. Le
choeur, remarquable et puissant, placé sous la direction du légendaire
Wilhelm Pitz, a mûri la prestation donnée un an auparavant (un concert
d'août 1963, édité par BBC Music en 2000). De fait, on trouve ici la plus
fidèle représentation sonore de la vision de Giulini de ce chef-d'oeuvre,
pour lequel le chef italien parvient à faire agir en symbiose le
recueillement et la théâtralité. C'est un Requiem humble et intensément
humain que dirige Giulini, une expérience musicale et spirituelle
poignante. Si la qualité sonore vous importe plus que tout, repliez-vous,
en DDD et en stéréo, sur l'étonnant enregistrement de Gardiner (Philips).
Christophe HUSS, Le Devoir.com 7-8 août
2004
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| Rigoletto
Pietro Cappuccilli, Placido Domingo, Ileana Cotrubas, Nicolaï Ghiaurov,
Elena Obraztsova, Hanna Schwarz, Kurt Moll ; Choeur de l'Opéra de Vienne,
Orchestre Philharmonique de Vienne, DG 1979
Rigoletto est le premier jalon de la nouvelle
"manière" de Verdi : il y abolit les limites traditionnelles de
l'opéra romantique, avec "airs fermés", ritournelles, orchestre
de simple accompagnement, et commence à utiliser l'orchestre de façon
autonome, jouant des effets de timbre des instruments (de la flûte pour
l'air de Gilda au cor anglais pour l'imprécation de Rigoletto). Mais
surtout il plie l'écriture vocale aux nécessités du drame sans plus se
soucier des formes classiques de construction des airs. L'oeuvre y gagne un
élan, un mouvement comme d'un seul tenant - qui culmine au quatrième acte
dans le fameux quatuor. Cela explique le choix que je fais de le version
dirigée par Carlo Maria Giulini au milieu des dizaines de Rigoletto
existant : le grand maître italien a su comme peu creuser la pâte
orchestrale, les textures intérieures, et faire agir cette matière vivante
comme élément de la construction musicale. La dynamique orchestrale est un
des éléments de cette plus-value expressive : elle permet à Giulini de
modeler le son, ou de déclencher de grands feux de cordes avec la même
force vive mais toujours hyperconcentrée. La distribution répond d'autre
part admirablement aux exigences de Verdi, tant au niveau des timbres,
chauds, ronds, bien projetés, qu'à celui du chant, à la fois tissé
étroitement à l'orchestre et se souvenant du bel canto,
c'est-à-dire pouvant se libérer de la couleur dramatique pour faire
briller une efflorescence vocale. Le frémissement de la Gilda d'Ileana
Cotrubas, ce froissement de son intimité de jeune fille et cette
palpitation de la femme qui rosit sa voix ainsi que la sobriété habitée,
pathétique mais sans lourdeur du Rigoletto de Piero Cappuccilli sont sans
doute les deux atouts maîtres de cet enregistrement - mais il serait
injuste de ne pas réunir tous les autres dans une même couronne : tous
participent de la réussite de ce Rigoletto émouvant, d'une beauté
grave, manquant peut-être d'un brin de folie, mais d'une noblesse de
pensée et réalisation exceptionnelle.
Alain DUAULT, Le Guide du disque compact
classique, Belfond, Le Pré aux Clercs, 1991
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| La
Traviata
Maria Callas, Giuseppe Di Stefano, Ettore Bastianini, Silvana Zanolli,
Luisa Mendelli, Giuseppe Zampieri, Arturo La Porta, Antonio Zerbini, Silvio
Maionica, Franco Ricciardi, Orch et Choeur du Théâtre de la Scala de Milan
, Live 28 janvier 1955, EMI1990
Voulant rendre les bandes écoutables et offrir
à un plus large public cette Traviata, les ingénieurs ont tellement
trafiqué le son, tirant au maximum sur les aigus, que l'orchestre ressemble
à une harmonie municipale pendant une fête foraine et que la voix de
Callas, dont on entend seulement les défauts, paraît complètement
défigurée. Le timbre si riche, si coloré, capable de mille accents, de
mille nuances est ici sec, âpre, métallique ; ce chant mémorable,
incomparable, frise le croassement, surout au premier acte. Je me demande ce
qu'en penseront les auditeurs qui n'ont jamais entendu Callas sur le vif !
Quelle idée se feront-ils de la personnalité la plus légendaire du XXe
siècle. C'est à un véritable assassinat que l'on assiste,
incompréhensible pour une firme qui devrait savoir respecter sa poule aux
oeufs d'or.
Sergio SEGALINI, Opéra international n° 144,
février 1991
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